
« Edition française, qui possède quoi ? » Un travail publié en mars 2025, à retrouver sur le site du monde diplomatique
L’épisode du rachat par Vivendi (propriété de la famille Bolloré) de Hachette Livre a défrayé les chroniques. Un séisme, une opération terrible pour la liberté de l’édition. Pourtant ce n’est que la suite logique d’une industrie dont la concentration est critiquée depuis les années 1980.
D’ailleurs de nouveaux rachats ont suivi, celui d’Humensis par Albin Michel, de Delcourt par Editis, des éditions Christian Bourgois par Madrigall…
Aujourd’hui, les 10 plus grands groupes d’édition – tout secteur confondu – représentent 90% du marché de l’édition. Et rien que les 4 premiers équivalent à 55% de la production. Ces 10 groupes possèdent environ 330 maisons d’édition et marques. On recense pourtant 4000 maisons d’édition (publiant au moins un titre par an) en France.
Même si les éditeurs des grands groupes vantent l’exception culturelle qu’est le livre, ce n’est pas pour l’amour de la littérature que des entreprises se sont mises à en racheter d’autres. C’est plutôt l’effet du capitalisme.
Deux types de concentration s’observent. D’une part le rachat de maisons d’éditions par d’autres. D’autre part, le rachat d’entreprises qui n’éditent pas mais diffusent, distribuent et vendent les livres. Les deux combinés permettent de maîtriser la chaîne du livre et d’étouffer les concurrents potentiels.
Il existe plusieurs motivations pour racheter des maisons d’éditions.
Une concentration choisie par les familles d’éditeurs elles-même qui décident après-guerre d’avaler les maisons d’édition en difficulté. Si les messageries Hachette, la pieuvre verte, avait le monopole de la distribution et le plus grand appétit, les familles Gallimard, de La Martinière ou encore Masson ne s’en sont pas privées non plus. Les unes et les autres jouant des coudes pour récupérer Plon, Julliard ou bien Laroussei…
A partir des années 70, entrent dans la danse, des grands bourgeois qui ne connaissent l’édition que pour le capital symbolique ou le pouvoir qu’elle procure. Ils tentent de former d’immenses entités de communication. Car qui possède les médias a le pouvoir. Les OPA pleuvent. Si le rapprochement de Havas et d’Hachette n’eut finalement pas lieu en 1980, la concentration se poursuivit cependant toujours plus. D’autres groupes tentèrent de se hisser à la hauteur des deux premiers, Hachette et le Groupe de la Cité (devenu Editis) ce qui donna Media-Participation et Madrigall. Nombres d’éditeurs arguent que créer ou rejoindre un groupe permet de pérenniser leur entreprise dans un marché très concurrentiel.
Pour conserver leur hégémonie, les groupes tentent d’étouffer la production des maisons indépendantes. Pour cela, ils publient de tout, de la littérature aux essais, en passant par le pratique, l’ésotérique et la jeunesse. Il suffit d’aller voir une enseigne de grande distribution pour se rendre compte que les big four de l’édition noient les tables de présentation. Posséder le circuit de distribution se révèle pratique pour diffuser ses propres titres. Ou bloquer ceux qui déplaisent. C’est l’autre utilité des groupes d’édition : propager les idées qui conviennent aux actionnaires. Vincent Bolloré ne cache pas son intention de valoriser l’extrême-droite grâce à ses médias. De même quand Rémy Montagne créa Media-Participation, il clamait son intention de répandre la parole de Jean-Paul II.
De manière globale les groupes d’édition impose une gestion économique drastique. Demandant, comme le montrait l’éditeur André Schiffrinii, d’imposer des taux de rentabilité très élevés et inhabituels dans la profession. Pour tenir une rentabilité élevée, il faut choisir des titres qui peuvent se vendre et éviter les plus incertains. Voilà comment pousser à la best-sellerisation. Avec l’incertitude que le succès (ou l’échec) éditorial est difficilement prévisible. C’est pour cela que fleurissent les modes. En ce moment, la mode, c’est la romance. Alors tout le monde s’y met.
La question la plus simple pourrait être : où va l’argent de la création ? Alors donc à qui appartiennent les maisons d’éditions ?
iBrève histoire de la concentration dans le monde du livre, de Jean-Yves Mollier, Éditions Libertalia, 2022
iiL’édition sans éditeur, de André Schiffrin, Éditions La Fabrique,







