Archives pour la catégorie Reportage

Les écologistes tentés par l’action directe

MondeDiplo-Nov2019

Depuis plusieurs mois, les militants écologistes multiplient les coups d’éclat. Le durcissement concerne autant leurs modalités d’action que leur projet politique. Ils ne croient plus la préservation de l’écosystème compatible avec le modèle capitaliste de croissance. Cette nébuleuse saura-t-elle pour autant se rapprocher d’autres luttes et s’entendre sur des stratégies susceptibles de renverser l’ordre établi ?

Article paru dans Le Monde diplomatique de novembre 2019.

Au ras du sol

Taptaptaptaptap. Vague qui claque régulièrement sur le sol. Flot dense des marcheurs du quotidien. Le métro, six pieds sous terre. Et ici, les pieds semblent ne jamais s’arrêter. La déferlante engloutit l’escalier, menace pour qui laisse traîner le moindre orteil. Gilbert se tasse contre un mur. Assis sur une marche, épaules avachies et mains posées sur les jambes, son regard ne décolle pas du sol. Il regarde passer les jambes. Ici, ce sont les chaussures en transit qui font voyager.

6h30, elles sont déjà nombreuses. Le roulis des trains alterne avec l’alarme puis le choc des portes qui se referment brutalement. Au milieu d’une vague se détachent des talons élégants suivis de près par quatre belles pattes au poil roux. Quelques pièces glissent dans la main de Gilbert. « C’est une habituée, je connais tous ces enfants ». A 70 ans, « bientôt 71 », Gilbert s’assoit sur ces marches tous les jours, « sauf le dimanche », depuis 12 ans.

« Chaque jour, j’attends de gagner 30 euros pour faire quelques courses, de quoi manger. Après, je rentre chez moi. Je vis dans une chambre d’hôtel, payée par les allocations. »

Claclaclaclac. Les talonnettes Armani, les bottines en cuir noir et les escarpins Louboutin claquent puis s’évanouissent. Hommes et femmes d’affaires pressés…

« Quand je rentre, je regarde la télé. J’ai acheté un DVD à 2 euros. J’aime bien Jean Gabin, Bourvil. Je n’aime pas trop les films d’action. » Et pourtant de son sac Monoprix bleu, caché sous ses jambes, sort La mémoire dans la peau.

Bientôt 8h, l’heure où le silence n’existe plus. Nouveau cri strident d’une rame, les premières chaussures sautent sur le quai et courent dans les couloirs. Chaque paire tente de doubler sa voisine. Accélération, décrochage vers la droite, diagonale, retour brutal sur la gauche, queue de poisson, les chaussures se mordent les unes les autres sans pitié. Clac… Clac… Clac… Des talons rouges flambants neufs montent précautionneusement les marches. Des collants noirs entourent de longues jambes minces. Petit trouble chez Gilbert. Ses épaules se redressent, il lève la tête et des yeux écarquillés. Jolie jupe courte… Puis son visage affiche une moue de déception. Au dessus d’une doudoune gris métallisé, un visage d’une soixantaine d’année affiche un air de suffisance.

« J’suis un dragueur, moi. C’est comme ça. J’ai toujours plu aux femmes. D’ailleurs j’fais pas mon âge hein ? » Grand sourire partiellement troué. Des cheveux filoches mi-gris qui dépassent de la casquette noire.

Des ballerines beiges en toile brillante dirigent un slim bleu droit sur Gilbert. Un sac de papier coloré se retrouve à ses côtés. « C’est une tarte, faite maison aujourd’hui ! » lance les ballerines à la volée.

« J’aime cuisiner mais dans ma chambre d’hôtel on peut pas, il y a des détecteurs de fumée. »

Régulièrement, Gilbert porte sa main à sa cuisse droite et remue un peu, la bouche crispée.

« J’ai été opéré de la jambe pour mes 60 ans. Un mec était assis à ma place là, je lui ai dit de se barrer. Il s’est levé, allait partir, puis il s’est retourné et m’a poussé dans le dos. Je suis tombé dans les escaliers. »

10h, les bousculades s’espacent. Fritch, fritch… Fritch, fritch. Indifférentes à l’agitation environnante, d’énormes chaussettes entourées de bouts de ficelle bleue empruntent une route différente. Elles s’approchent d’une poubelle, donnent un coup dans le sac puis repartent, en traînant.

« Je travaillais moi avant, j’étais imprimeur pour de la pub. Mais quand ils ont installé des machines, ya plus eu besoin de nous. On était trois, il en fallait un de moins, c’est moi qui suis parti. »

Quatre roues de bolide s’élèvent au dessus du sol. La Maclaren bringuebale au gré de cavalières marrons qui titubent à chaque marche. Pendant ce temps, de minuscules baskets blanches à scratchs roses sautillent gaiement à chaque marche.

« La famille, on n’en parle pas. »

« Ma sœur, elle m’a renié. Elle veut récupérer l’héritage de mon père. Elle peut attendre. Je mettrais jamais les pieds chez le notaire.»

Au croisement du Relay et du Bonne Journée, les jambes s’organisent spontanément en colonnes qui tournent et s’entrecoupent presque sans accrocs. En plein carrefour, deux paires s’arrêtent. Elles se font face en silence. Une Converse noire et verte fait un petit pas en avant jusqu’à toucher doucement les bateaux marrons. La Converse s’avance d’un millimètre de plus, se coincent entre les deux, pour se rassurer. Son pied gauche ramène sa pointe, lentement, et laisse son talon en l’air. Le genou langoureux frôle l’autre, en jean. Le temps n’existe pas. Les semelles se rapprochent encore, s’immobilisent quelques instants puis brusquement s’écartent. Les chaussures se retournent et s’en vont dans des directions opposées.

« Je suis même devenu dactylo pour remplacer Céline. Elle avait des problèmes pour bosser. Céline, c’était ma femme. Et puis… »

Schlak, les portes s’ouvrent, un flot se dégorge sur le quai. Dans la marée noire, un pied noir arbore fièrement des mules rouges. La semelle abimée laisse dépasser le talon de plusieurs centimètres. A chaque pas, la peau se plisse de centaines de stries puis disparaît sous un ample tissu d’un bleu et violet lumineux, parsemé de fils d’or. Toute la dignité africaine semble résider dans ce pied qui avance lentement. Rollrollroll. A peine plus rapide, deux valises suivent des Birkenstock. Les sandales de liège découvrent des ongles au vernis violet sous un ample sarouel. Retour de vacances. Bronzage et piqûres de moustiques laissent rêver à des randonnées ensoleillées et humides.

« J’aimerais bien aller en Chine. Mais c’est trop tard maintenant. »

A midi, Gilbert rentre. Les pièces accumulées dans son pot de mentos disparaissent sous la veste rembourrée. Il pose sa main droite au sol, la gauche sur le mur et se soulève avec difficulté. Tandis qu’il pose le pied sur la dernière marche, ses chaussures apparaissent. De vieilles Campers beiges, des lacets noirs. Elles font trois pas et la foule les engloutit. Une vie, parmi d’autres.

 

Crocodiles, machines à remonter le temps

Deux scientifiques se sont penchés sur la morphologie des crocodiles du Nil pour raconter l’histoire de leurs lointains ancêtres, les stégocéphales.

Article paru dans National Geographic Sciences, Octobre 2011

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et sur le site de National Geographic

Un nez rouge pour oublier l’hôpital

Chanter, danser, rigoler, s’amuser. Grâce aux clowns de l’espoir, les enfants, les parents et les soignants oublient les murs blancs. Une bulle de légèreté colore les hôpitaux.

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Des chaussures violettes swinguent sur le parquet gris. Des éclats de rire fusent dans le silence ouaté. Six nez rouges se détachent sur les murs blancs du Centre hospitalier de Valenciennes. Comme les autres clowns de l’espoir, Pluche, Zibou, Dada, Lulu, Lolipo et Bulbe apportent leur bonne humeur, parenthèses de joie, dans les services pédiatrie et chirurgie.

Derrière leurs chariots de soin, les soignantes en blouses accueillent les pitres, un sourire aux lèvres. Avant de commencer, réunion des grands chefs clowns pour parler de chaque enfant, de leur état physique et de leur moral. Puis le bal s’ouvre. Deux par deux, les joyeux drilles s’élancent pour inventer jeux et histoires abracadabrantesques.

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Des artistes attendus

Dada et Lolipo tombent nez à nez avec Quentin, petit blondinet d’une douzaine d’années, qui déambule, yoyo jaune fluo en main, à la recherche des nouveaux venus. Aussitôt un concours yoyotesque débute. « Les enfants savent quel jour viennent les clows, ils les attendent » affirme Patricia, auxiliaire puéricultrice. Ayant perdu le concours, Dada, princesse en robe rouge coiffée d’une couronne argentée et Lolipo s’enfuient et rattrapent la bibliothèque roulante. Tintin, Gaston Lagaffe, Lucky Luke, des bandes dessinées à profusion inspirent les artistes. Sur un air de Far West siffloté par le shérif Dada, Lolipo dégaine son colt d’un air menaçant. Les lourdes santiags imaginaires tintent sur le sol et se dirigent hors du monde de l’Ouest. « Elles font un travail super » observent, d’un air radieux, les bibliothécaires. Les cowboys disparaissent et se glissent dans la chambre silencieuse de Louna. À pas de loups, les deux clowns s’approchent du lit de la blondinette qui s’éveille à peine. Lolipo, en salopette rouge et t-shirt bleu, entonne une chanson de réveil tandis que Chocolat, le doudou de Dada attaque les chœurs. (diaporama ici)

Le lit devient studio d’enregistrement. « C’est un vrai bonheur », sourit Amélie, la maman, au frottement d’un petit oeuf-maracas. Pour remercier leurs auditrices priviligiées, les chanteuses touchent du bout des doigts chaque main, et voila un bisou de clown.

Une bulle d’air

Quittant cette bulle de douceur, les deux artistes transforment les couloirs en salle de danse. Les soignantes s’esclaffent le temps d’une polka endiablée ou d’une valse exagérée. « Cela change le quotidien » s’amuse Pascaline, une éducatrice. Zibou et Lulu se mêlent à la fête puis partent vers une autre chambre. À leur approche, Enzo se cache derrière un fauteuil tandis que son frère, Timéo, fixe depuis son lit à barreaux un œil intrigué sur les deux drôles de personnages. Zibou, aux collants verts fleuris comme ses joues, s’allonge sur le sol et tire de son sac bleu un tube à bulle. Les premiers ronds de mousse plaisent à Enzo, qui leur court après et les éclate en se tordant de rire. De son côté, Lulu fredonne une musique à Timéo. Emerveillé par la joie de son frère, le bébé ne s’inquiète pas de l’infirmière qui débute les soins quotidiens. « C’est incroyable, d’habitude, impossible de lui faire ces soins sans qu’il ne bouge » apprécie Sandrine, l’infirmière. Les deux saltimbanques quittent la sphère de joie de Timéo et Enzo. La porte se referme mais pas la lumière de cet univers. Plus loin, une chambre fermée, un regard à travers la vitre. Un petit coup et les deux troubadours se glissent dans la pénombre de la pièce. Un bébé dort, une maman veille. Tout en douceur, les poètes lui murmurent deux-trois mots. Elle étouffe un rire. « Merci, vous êtes formidables, merci beaucoup » bafouille-t-elle. Une étincelle d’émotion scintille dans ses yeux.

Pour chaque enfant, les clowns de l’espoir inventent un monde et établissent une relation de confiance. Derrière le miroir, les comédiennes se dévoilent un peu. « On apporte une bulle d’air, de la légèreté aux enfants, parents et soignants ». Une bulle imaginaire où chacun peut se plonger quand il en a besoin. Dans les couloirs blancs, un air de fête flotte encore, un trace de nez rouges.

Claire Lecœuvre

Reportage réalisé en Mai 2011 à Lille

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